A la recherche de la magie Lovecraftienne [Atelier 1]

En paraphrasant la fille de l’empereur Padishah dans l’introduction du Dune de David Lynch, « A begining is a very delicate time ». Il en va de même avec horreur Cosmique, et je ne savais pas quel bout attaquer les ateliers. Je me suis donc posé la question : qu’est-ce qui est le plus important, pour moi, dans ce projet ?

Cette article va donc essayer de brosser de ce qui me semble être le véritable coeur de la fiction Lovecraftienne, en même temps que l’element le plus maladroitement exploité…pour finir par faire appel à vos souvenirs…

Lovecraft, proto geek et proto roliste ?

Faut il le rappeler, Lovecraft, n’était pas ce « reclus » fantasmatique fabriqué par Delerth, véritable personnage issu de sa propre fiction (paradoxe intéressant, au passage, on y reviendra). L’amour de HPL pour les glaces (il menait des « concours du plus gros mangeur »), son humour, et surtout, son abondante correspondante avec son cercle (« social ») sont bien connus. Sans trop se tromper, on peut dire que s’il avait vécu aujourd’hui, Lovecraft aurait été accro aux réseaux sociaux et la tête de proue d’une importante communauté de geeks.

Plus important encore pour ce qui nous concerne, Lovecraft, loin d’être le morne nihiliste de la légende, était avant tout un rêveur…et un joueur.

Ce n’est du reste pas incompatible. Même s’il est vrai le mythe de Cthulhu agi comme la métaphore panthéiste d’un univers athée dans lequel l’humanité est au mieux dépourvue de sens (relisez les montages hallucinés…), ce n’est ni à prendre trop au pied de la lettre, ni n’exclu une forme de réenchantement du monde.

Joueur donc, car avant d’être une oeuvre au sens plein, fermée sur elle-même, le « mythe » lui-même est conçu comme un jeu: un ensemble de citations, d’emprunts et de clins d’oeils circulants dans le triangle Clark Ashton Smith -Lovecraft – R. Howard, et au-delà (ce que les concepteurs de l’appel de Cthulhu avaient parfaitement compris en intégrant une grande partie du bestiaire et bréviaire du cercle de Lovecraft, depuis les chiens de Tindalos jusqu’à Tastuggoa de Clark Ashton Smith et bien d’autres). En ce sens, ce proto geek était aussi un proto-roliste.

L’implication de tout cela c’est que ce n’est pas la forme prise par le Mythe qui compte, mais son processus de création et sa fonction. Rien ne lui est plus étranger par exemple, qu’une chronologie fixée et transparente ou un catalogue de créatures (au demeurant très beau dans sa version illustrée). La conséquence directe de cette conception pornographique dans le JDR est de réduire le mythe à une simple clique d’extraterrestres de plus: finie, mesurable, objectivisée. Et donc, de perdre, ou passer à coté de ce qui fait l’intérêt et la spécificité de la fiction Lovecraftienne…

at mountains of madness by Dave aka moonchild

Beau comme un Shoggoth à la fin des temps

Nous y voici. Si fondamentalement le mythe est un jeu (et devrait le rester dans son appréhension), Lovecraft est un rêveur, et pas seulement pour ce qui concerne les contrées du rêve. Là encore, si le JDR tend à mettre en scène le pantheon du mythe en termes classiques « d’horreur » (empruntant souvent au gore ou à des éléments traditionnels du genre), il passe à coté de sa singularité et de son intérêt. Lovecraft est difficilement classable et on considère habituellement qu’il est à la frontière de la SF et de « l’horreur ». Mais ce qui le caractérise le mieux, c’est de dépasser les frontières des genres, du temps et de l’espace, pour nous émerveiller en allant au-delà.

Son objectif premier n’est pas de nous faire trembler, ou sursauter, encore moins de nous écoeurer avec de l’hémoglobine. Il n’est pas non plus de décrire par le menu des sociétés et créatures extraterrestres (dans son essai sur le space opéra, il juge intrinsèquement impossible cet objectif, si ce n’est par l’évocation et l’évitement). Lovecraft ne ménage pas non plus de « suspense » particulier (beaucoup de nouvelles commencent avec le héros sur le point de mettre fin à ses jours, le pire est donc survenu). Le Maite de Providence cherche d’abord à nous émerveiller en nous conduisant le plus loin possible des limites étriquées du quotidien humain, fût-ce dans l’espace ou le temps…avec ce que cela suppose de vertige, et d’effroi. « L’horreur » se niche ici, dans la dimension a-humaine des mondes découverts.

Comme le haut-le-coeur dans les montagnes Russes est le sous-produit inévitable de la recherche du plaisir, l’horreur est ici intimement liée à celle du merveilleux.

Oui, mais concrètement ?

Dans la description du projet, j’avais fait de la prise en compte de l’expérience ludique concrète (celle de nos parties de l’AdC) un des axes du développement d’Horreur Cosmique et Étranges Éons. Je vais donc sacrifier à l’auto-analyse.

Si je ferme les yeux et que je repense à mes meilleurs moments de jeu (séquence émotion), quelque part entre le milieu des années 80 et 90, je me souviens d’un plateau désertique où nous avait conduit notre expédition, qui déboucha imperceptiblement dans un autre monde ou des créatures anthropomorphes contrefaites nous réduisirent en esclavage… ce qui nous permit de jouer les touristes dans leur étrange cité.

Je me souviens encore bien plus de l’expérience du Dr Crowley (publié dans les pages du Dragon Radieux ?) et de la « chose de la cave » dévorant (littéralement) la maison … créature qui se trouvait en réalité être notre frère monstrueux, enfanté par les expériences blasphématoires du Docteur.

L’expérience fut si réussie que mes joueurs pourtant largement décimés) demandèrent à remettre le couvert, incarnant le rôle de divers PNJs, en incluant des non rôlistes.De ces deux exemples, il ressort déjà une absence d’éléments habituellement classiques dans le JDR, (l’investigation, les cultistes) et une plongée dans l’Eerie plutôt passive, ou à tout le moins dépourvue d’action martiale et autre cascades.

Si j’avais annoncé tout de go que les parties les plus réussies sont celles sans investigation, cultistes ou combats, il y avait de quoi perdre une grande partie d’entre vous. Pourtant, c’est bien ce qui s’est passé, et mon petit doigt me dit que bon nombre d’entre vous arriveront à une conclusion similaire, introspection aidant.

Enfonçons le clou: Je me souviens encore davantage de ma dernière vraie partie de l’AdC, ou en tant que MJ j’abrégeais la longue enquête d’un module (« campagne »), taillé pour durer x sessions, pour plonger directement mes joueurs, le reste de la soirée (comptée), dans ce qui me paraissait plus essentiel. Grand bien me pris. Une porte dimensionnelle les mena du Sussex des années 30 jusque sur…la lune, ou l’armée britannique grace à de rudimentaires scaphandres, tentait une exploration précaire. Une situation d’autant plus fascinante que décrite avec quelques brillants détails (notamment la technologie utilisée et ses limites)

Tout au long de la partie, les joueurs allaient franchir des paliers supplémentaires de plongée dans le merveilleux, avec une constante surenchère les éloignant toujours plus du prosaïque point de départ. Un deuxième pas était franchi lorsque les joueurs exploraient une pyramide monumentale étrange construite sur la face cachée. Une troisième plongée dans l’Eerie les conduisit à s’échapper d’une rencontre inquiétante (la grande race de Yith) à bord d’une étrange machine les emmenant à explorer des époques non humaines de la terre, et découvrir leurs habitants. Enfin, un ultime pas fut franchi avec la chute finale, rien de moins que la poursuite du voyage jusqu’à la fin des temps…pour assister à la renaissance de l’univers et à leur retour au point initial, en spectateurs.

Ce n’est par hasard si ce fut une session mémorable, pour mes amis et moi. Tout entière centrée sur la chute dans « l’Eerie », à partir d’un très prosaïque point de départ, elle ne contient elle aussi ni cultistes, ni rituels, ni coups de pistolets. Mieux: la partie investigation a été réduite au strict minimum en faisant que les faits viennent vers eux, pour qu’ils aillent vers le merveilleux.

Voilà donc où se niche une grande partie l’essence de la magie de l’AdC, et c’est que j’ai envie de retrouver, en espérant vous avoir convaincu (sachant qu’un post n’est pas une entrée de thèse).La prochaine fois, nous tirerons des leçons concrètes de tout ça pour les « principes » et les « actions ».

En attendant Il me reste à vous demander, à vous joueurs:  Quels sont vos meilleurs souvenirs de jeu à l’Appel de Cthulhu ? Qu’est ce que vous aimeriez (re)trouver idéalement ?

Et si vous n’êtes pas joueur mais lecteur: « Qu’est ce qui vous a tenu éloigné du jeu de l’appel de Chtluhu ?  et qu’est ce qui vous pousserait a tenter l’expérience du jeu de création fictionnelle – « de role » ou « narratif » ?

 

Quelques exemples du « sense of wonder » dans le genre de l’horreur cosmique:

– La cité de la flamme chantante de Clark Ashton Smith, récemment réédité chez Actes Sud: http://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146586426

– Abraham Meritt: Le peuple de l’abime

– Et bien sur, Lovecraft, antres autres Les montagnes hallucinées, Dans l’abime du temps, etc…

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  6 comments for “A la recherche de la magie Lovecraftienne [Atelier 1]

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