A l’occasion de la campagne ulule de la VF d’OSE fin mai, il faut que je vous fasse non pas une mais deux confidences : pour commencer, je n’ai jamais joué à D&D, ayant commencé par l’Oeil noir. En plus, j’étais comme vous : « Quel intérêt peuvent ils trouver dans ce vieux machin alambiqué et ses tables genre Wargames, à casser des portes et à amasser des pièces d’or ? autant jouer à un jeu de plateau » me disais-je en mon fort intérieur. Et de conclure à la nostalgie régressive. Mais tout ça, c’était avant. Voici donc comment j’en suis arrivé à voir les choses sous un autre angle ludique. Et comment vous les verrez aussi peut être.
De quoi parle-t-on ?
La campagne de financement du 29 mai proposera donc la version française de « Old School Essentials » (OSE) de Necrotic Gnome, anciennement nommée B/X, acronyme de « Basic / Expert », c’est à dire la « boite rouge » de Donjons & Dragons qui apparaît au début des années 80, pendant le boom du JDR et est édité, sans altérations majeures, pratiquement jusqu’à la fin des années 90.
Depuis le développement de la licence OGL par TSR, des versions proches de « B/X » ont pu être re-éditées par différents éditeurs. Mais OSE se distingue à la fois par sa fidélité, son exhaustivité et sa mise en forme moderne. il est donc considérée comme la version « ultime », LE jeu Old School Revival.
Notre campagne la proposera dans la même format que la VO
- Un coffret contenant les 4 (et possiblement 6) livrets, plus faciles à consulter
- Une version en un seul tome, proposée en « super deluxe » (reliure cuir, papier crème, marque page filaire, etc;..), plus durable, pour référence.
- En palier: un tas de choses, dont deux livrets de règles avancés proposés en VO, l’écran proposé en VO, des scénarios français originaux (et une possible version en livret de ceux ci). Et pour finir dans le palier suprême, une boite de matériel, qui fait aussi boite d’initiation (voir ci dessous)
- A noter : tout le travail de traduction et de réalisation est gérée sur une plateforme ouverte, comme pour nos autres projets. Vous pouvez ainsi suivre les étapes, participer aux relectures, etc… nous proposerons aussi la version gratuite des règles, maquettée, en téléchargement ouvert pour tous, une fois le projet financé.
La nostalgie, oui mais « productive »
On me pose souvent la question : « mais qui va s’intéresser à cette vieillerie, à part de vieux grognards coincés dans les 80s ? ». Réponse: tous ceux qui sont curieux et s’intéressent à l’histoire du jeu, mais aussi à la Culture Geek. Pas seulement en paroles ou en théorie, mais en se replongeant directement à la table de jeu, en (re)vivant de l’intérieur l’expérience
En effet, B/X, ce n’est pas n’importe quel jeu de rôle. Et même pas n’importe quel jeu. Par sa date d’apparition, sa diffusion et sa longévité (en gros toutes les années 80 et une grande parties des années 90, la période du « triomphe du jeu de rôles »), c’est LE JDR par excellence. Celui qui a formé les clubs, diffusé les concepts et les termes de base (XP, PV, Fumble, etc…) non seulement parmi les rolistes, mais dans le jeu tout court, à commencer par le jeu vidéo !
OSE s’adresse donc bien plus qu’aux grognards. Si on ne peut pas nier une bonne dose de nostalgie dans le phénomène, elle peut aussi être activement mobilisée pour aller plus loin et plonger dans l’histoire du jeu. Comme dans le Jeu vidéo, ou de plus en plus de joueurs n’ont jamais connu les NES et autres jeux 8 bits (ni même 16 bits) mais continuent pourtant d’en cultiver l’esthétique et les principes, de s’intéresser aux origines toujours vivantes. Pour beaucoup, la nostalgie est paradoxalement (?) reconstruite: celle de n’avoir pas pu vivre toute l’histoire du hobby.
Si la même chose peut être faite dans le JDR, OSE s’adresse aussi au delà du peuple roliste. D&D, à bien des égards grand père de toute une branche ludique, depuis le jeu de plateau (Dungeon crawlers, jeux de figurines fantastiques, jusqu’au jeu video (sandbox, MMORPG, RPG, etc…) est aussi un (sinon le) nexus de la culture geek, celui qui modifier profondément le rapport à l’imaginaire et au jeu (je développerai cette idée dans un autre article, mais vous pouvez déjà regarder dans les références en fin d’article).
Bref, OSE est un élément clef des cultures de l’imaginaire et de la culture geek. Il s’adresse donc à tous ceux qui s’intéressent à son historicité.
Le retour à l’immersion ?
Vous vous rappellerez peut être, lorsque vous aviez 15 ans, l’attachement intense que vous portiez à votre personnage. La perspective de sa mort était, il faut l’avouer, difficilement supportable et toujours douloureuse. Il me semble qu’il y a ici un paradoxe : « l’immersion » est souvent affichée comme l’une des qualités (ou des effets attendus) les plus importants du Jeu de rôle moderne que d’autres médias n’auraient pas. Or, le JDR « Old school » justement par la faible importance accordée à la construction du personnage, au delà de ses caractéristiques statistiques et ludiques, font qu’il n’est souvent que l’avatar du joueur, sa projection dans le monde de fantasy. Pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs. Tandis que, par contraste, la culture du « roleplay » met de la distance entre le personnage et soi, puisqu’on « joue » un personnage. Difficile de prétendre en même temps être et jouer un rôle. Dans le jeu OSR, la faiblesse du « jeu d’acteur » (roleplay) fait que cette barrière n’existe pas. On « est » le personnage.
Dans le jeu narratif (les « jeux de rôle » sans MJ…), on retrouve également cette barrière, d’une autre façon, souvent par la médiatisation d’un système de jeu qui n’est pas basé sur un paradigme statistique mais sur du « ludus »…
Encore une fois, cette immersion est donc acquise pour le meilleur et pour le pire. Mais tous ceux qui ont joué de cette façon savent qu’elle est bien au centre du jeu Old School….
Moins de rôle, plus de jeu: le « problem solving »
Dis comme cela, ça serait probablement un repoussoir pour la plupart des rolistes. Sauf que nous avons vu que cela se conjugue aussi avec un sentiment d’immersion très fort. Lorsque vous êtes dans un Donjon, c’est vous qui y êtes, et, en bon optimisateur craignant pour votre derrière (ou avide des richesses, fussent elles fantasmatiques), vous allez vous atteler à résoudre des problèmes.
La meilleure incarnation du « fun » que procurent ces problèmes, selon moi, au delà du dédale du Donjon, qui est lui même un problème, ce sont les pièges. Je suis toujours surpris de ne pas trouver plus d’extensions, ou d’intérêts des joueurs pour ces derniers (ce qui fait que j’ai publié Grimtooth…). Par excellence, ils incarnent la complexité baroque et le défi mortel, le machiavélisme de l’ennemi (et du Maitre du Donjon, l’immersion jouant aussi de l’autre coté du paravent), l’émerveillement devant l’ingéniosité, la peur d’échouer et finalement, la satisfaction de s’en être sortis, ensemble, d’avoir été à la hauteur des enjeux.
Ou d’avoir essayé.
Bref, les jeux « Old School », raillés pour leur atrophient du « rôle », proposent aussi plus de « jeu » au sens ludique (et non théâtral). Couplé à l’immersion, l’effet est garanti.
Sandbox, sweet Sandox
L’expression remonte (encore) aux wargames, désignant littéralement une surface de jeu construite dans un bac à sable, ou l’on pouvant modeler facilement le terrain. Aujourd’hui, elle désigne, surtout dans les jeux vidéos, des jeux qui se construisent « au fur et a mesure que l’on joue ». Dans lesquels donc, vous découvrez l’inconnu, réellement inconnu.
La encore, les jeux Old School ont la force de leurs faiblesses. Puisqu’ils ne s’intéressent guère à la construction d’une histoire élaborée, ils sont par excellence adaptés à ce mode de jeu, qui offre un sentiment de liberté particulier . Alors que les JDR « contemporains » sont empreints de la nécessité de proposer une « bonne histoire » aux joueurs, ce qui implique souvent de pousser les joueurs dans un sens et de définir ce qui va ou devrait se passer, les « Donjons » Old school, eux, se focalisent sur « ce qui se trouve dans les salles » et « comment se comportent les monstres » (dont certains, tels les monstres errants, surgissent d’ailleurs plus ou moins au hasard, selon un « algorithme » comme on dirait aujourd’hui).
Cette liberté particulière est encore l’une de ces caractéristiques particulières du « Old School » qui gagnerait à être étudiées et développées.
Le principe du sandbox s’illustre notamment à travers les « tuiles géomorphiques », magiques s’il en est : sortez les au hasard, et elles s’ajusteront toujours à vos tunnels ou galeries (en passant, un autre intérêt du JDR OSR est le retour à une certaine matérialité sur la table, contrairement au JDR contemporain plus désincarné).
Ce pourquoi on vous proposera d’ailleurs, sur le plus haut palier, une « boite de matériel » (qui fera également office de boite « d’initiation », en téléchargeant les règles de base, ouvertes), contenant un gros lot de tuiles géomorphiques et des figurines cartonnées (monstres, portes, PJ…), le tout dans un look néo-rétro « fait main » aux finitions modernes.
Mais pas que….
Il existe bien d’autres raisons qui m’ont conduit à cet intérêt profond pour OSE, liées à l’étude de l’histoire du jeu (que vous pouvez explorer à travers certains liens ci dessous tirés de ma rubrique « Geeks & Dragons »). Pour n’en citer qu’un seul en guise d’exemple, je mentionnerai une phénomène particulier, celui du rôle des « jets de dés » dépassant de loin l’objectif que leur prêtent les réglés. Dans la pratique, il y a (avait ?) une certaine mystique du hasard très particulière (pour moi dans l’Oeil noir), que l’on peut illustrer, par exemple, dans les « jets de confirmation » : en tirant une seconde fois, si le résultat est le même, c’est que « le sort l’a voulu ». Une régle écrite nulle part, mais pourtant assez universelle. Paradoxalement, alors que le jeu de role Old School héritait de tout l’arsenal simulationniste du wargame, l’expérience concrète de jeu faisait du hasard une tout autre utilisation. Ce même hasard (probabiliste) très souvent décrié aujourd’hui chez les « Eurogamers » est bien au cœur du vieux D&D, et lui confère une bonne part de sa mystique et de sa tension, depuis les « Jets critiques » aux « Fumbles ». Dans un Donjon, vous remettez votre âme au Joueur Suprême, à des forces qui vous échappent.
Bref, le jeu « Old School » n’est pas, comme le pensent probablement encore beaucoup de joueurs de jeu de rôle, une « vénérable antiquité » que l’on se doit de vénérer en prenant bien garde à ne pas l’ouvrir. C’est une expérience différente, un autre genre de jeu, dont on peut reprendre le fil, en se replongeant dans les origines. Ni totalement JDR, ni totalement jeu de plateau selon nos critères actuels, il reste ce nexus unique encore plein de potentialités inexplorées.
Rendez-vous le 29 mai pour participer au foulancement sur ulule. Si vous ne voulez pas rater la date, s’inscrire à la liste d’info (sur la barre de droite, en haut) est une bonne idée.
En attendant, dans le meme état d’esprit
- Shared Fantasy : probablement l’étude en sciences humaines la plus connue sur le JDR, qui à la double particularité d’avoir été faite au tout début des années 80 et en « observation participante ». Une analyse fine et bourrée de détails savoureux sur les tables de jeu « Old School »
- Principia Apocrypha: une analyse méthodiques des principes non écrits du jeu « Old School » grâce à a structure des jeux « Propulsés par l’apocalypse »
- Gygax, un dangereux déviant ? : Ou comment D&D n’a pu être inventé qu’en s’opposant à son champs de naissance. Nous parle par extension de ce qui fait la spécificité de D&D, sa véritable rupture.
- Pourriez vous inventer le JDR ? Une suite de l’article, ou j’essaie de représenter l’évolution des « champs ludiques » dominants (dans les jeux de l’imaginaire) au cours de l’histoire.
- Les jeux de l’imaginaire, un essai de typologie: pour replacer D&D dans un ensemble plus grand.